Près de 380 soldats et officiers de l’armée de réserve d’Israël viennent de déclarer qu’ils ne sont plus prêts à servir dans les territoires occupés et à participer aux crimes de guerre et aux atrocités que l’Armée y commet. Ces réservistes sont conscients que s’ils refusent en cas d’appel, ils risquent d’ être jugés par un tribunal militaire et sont passibles de périodes plus ou moins longues d’emprisonnement.
Parallèlement, des civils se sont mobilisés pour soutenir les objecteurs de conscience et pour encourager d’autres soldats à joindre le rang des objecteurs. Par ailleurs, l’objection de conscience séléctive se répand depuis un an parmi les nouveaux conscrits. Presque chaque mois, deux ou trois soldats sont jugés ou jugés de nouveau. Il y a toujours eu en Israël un petit nombre de pacifistes (qui refusent par principe de faire leur service militaire) ou d’objecteurs de conscience sélectifs, qui sont prêts à servir dans l’armée mais pas dans les territoires occupés. Mais jusqu’à maintenant, c’était un phénomène très marginal qui n’a jamais suscité un débat public.
Aujourd’hui, c’est différent. Le manifeste des soldats a provoqué un débat passionné. A cause sans doute du nombre relativement élevé de signataires, à cause aussi du moment choisi, alors qu’on assiste à une recrudescence du terrorisme palestinien et du contre-terrorisme israélien et que des combats sporadiques se transforment en véritable guerre. L’argument principal avancé contre les soldats est qu’ils refusent d’obéir aux ordres légitimes d’un gouvernement démocratique et qu’ils sont mus, non pas par une quelconque morale humanitaire, mais par les calculs politiques et idéologiques d’une minorité qui voudrait imposer sa volonté à la majorité.
Mais ces arguments ne prennent pas en compte la situation politique réélle. Il n’y a pas aujourd’hui d’acte non seulement plus moral, mais aussi plus démocratique que le refus de servir dans les territoires occupés. En fait, ils ont raison, ceux qui prétendent que l’objection de conscience a des racines politiques et idéologiques. Puisque c’est là le coeur du problème. Le refus est un geste qui a pour but de restaurer la démocratie en Israël et non pas de la miner. Il veut réparer les fondations de la légitimité d’Israël et non pas les saper.
Depuis 1967 Israël contrôle directement - et depuis 1994 indirectement - des millions de citoyens arabes, qui sont totalement dépourvus de leurs droits civils et de la plupart des droits de l’homme les plus élémentaires. Excepté Jérusalem-Est et le Golan, Israël n’a pas annexé les territoires occupés et leurs habitants afin de ne pas leur octroyer des droits civils - par exemple le droit d’élire et d’être élu. Mais d’un autre côté , Israël a utilisé toutes les ressources matérielles (terrains, eau, etc.) et humaines des territoires comme si elles lui appartenaient. Au fil des ans, cette situation est devenue la norme et Israël a cessé d’être un Etat démocratique et est devenue une démocratie du peuple-des-maîtres.C’est un Etat dont une partie des ressortissants (les citoyens) ont tous les droits et l’autre partie (les gouvernés sans citoyenneté) n’ont aucun droit. Les lois d’Israël sont devenues les lois d’un peuple de maîtres et sa morale, la morale d’un peuple de maîtres. Les règles du jeu étant que lorsque cela convenait à Israël, les habitants des territoires faisaient partie de l’Etat et lorsque cela ne lui convenait pas, ils étaient en dehors de l’Etat. C’est un Etat qui a de doubles lois, un double gouvernement et une double morale.
Dans ce contexte, l’objection de conscience fissure la logique d’un gouvernement qui exige, au nom de la démocratie, le devoir d’obéissance à ses lois précisément là où il se révèle comme un Etat clairement non-démocratique. C’est pourquoi il n’est pas étonnant que la secousse ait été violente lorsqu’un groupe de combattants a déclaré, en tant que groupe, son refus de servir dans les territoires. Jusqu’à maintenant, l’objection de conscience était un fait isolé auquel les autorités savaient faire face avec divers moyens. Il n’est pas surprenant que lorsque l’engagement à la non-obéissance est devenu un acte commun et public, il aitébranlé le gouvernement. Ce manifeste menace en effet de faire écrouler l’édifice de cartes légal et moral sur lequel s’est bâtie non seulement l’occupation mais aussi la nature " démocratique " de l’Etat.
L’un des argument les plus fallacieux contre l’objection de conscience est la tentative d’établir un parallèle avec une éventuelle objection de conscience qui émanerait de l’autre côté de la scène politique israélienne. Autrement dit, les objecteurs de la gauche donneraient à priori une légitimation aux potentiels objecteurs de la droite, lorsque ceux-ci recevront l’ordre de démanteler les implantations. Chacun et sa conscience, et par conséquent la conscience n’a pas sa place dans le service militaire. Cest argument est juste mais il n’a aucune prise sur la situation dans laquelle nous nous trouvons, du point de vue politique comme du point de vue moral. Des ordres qui ont pour but de perpétuer la domination d’Israël sur un autre peuple, n’ont rien à voir ave un Etat de droit et le refus d’y obéir fait des objecteurs des êtres moraux qui veulent rétablir la démocratie dans l’Etat. Si l’ordre est donné de démanteler les implantations - un acte qui s’inscrira dans le processus de démocratisation de l’Etat - alors le refus d’y obéir sera clairement illégal et immoral.
La vision déformée de l’objection de conscience qui règne en Israël n’est pas due seulement à une incompréhension du phénomène lui-même. Elle est partie intégrante de la culture politique militariste et colonisatrice. C’est pourquoi il n’y a jamais eu en Israël un mouvement pacifiste de masse digne de ce nom. Si les colons ont du pouvoir, s’ils peuvent tenir une nation entière prisonnière de leurs idées et de leur politique, si on les laisse fixer l’ordre du jour national et créér des faits jugés après coup irréversibles, c’est parce qu’ils sont prêts à agir sur le terrain,à prendre des risques, à sacrifier leur vie et celle de leurs familles sur l’autel idéologique.
La grande majorité de ceux qui font partie du camp de la paix sont des révolutionnaires en pantoufles. Ils ont écrit des articles " courageux " dans les journaux, et parfois sont même sortis manifester, mais la plupart n’ont pas été prêts à faire des sacrifices personnels réels dictés par leur conscience, ou pour réaliser leur idéologie politique. Cela n’a pas rendu leurs idées moins justes, mais cela les a rendues moins fortes et moins efficaces politiquement. Ce n’est pas seulement parce qu’ils pensent à leur confort personnel, ou parce qu’ils ne sont pas prêts à payer le prix pour leurs idées, mais surtout parce que tout comme l’extrême droite et la droite moins extrême, la majorité des gens du camp de la paix ont adhéré et adhèrent toujours à l’idéologie militariste israélienne. Ainsi par exemple le parti travailliste et le parti Meretz - surtout depuis que Shulamit Aloni en a été éloignée - de même que le mouvement " la Paix maintenant ", qui est en somme le bras extra-parlementaire des " colombes " de ces deux partis.
Quand ces partis et ce mouvement refusent , au nom d’une démocratie inexistante et de peur de se trouver en dehors du consensus national, d’adopter l’idée de l’objection de conscience, ils cessent d’être des forces de la paix. Non seulement ces mouvements, qui se considèrent être des mouvements pacifistes ne le sont pas mais ils collaborent ave le régime d’occupation et soutiennent la démocratie du peuple-maître. Ce faisaint, ils lui donnent une légitimité qu’aucun mouvement politique de droite ne serait capable de leur donner.