Aux Mureaux, une réunion autour d’un étudiant palestinien et d’un objecteur de conscience israélien.
Suffirait-il que Majed, 21 ans, étudiant palestinien, et Gaï, 25 ans, objecteur de conscience israélien, s’assoient côte à côte pour que le monde change ?
Ils sont une petite centaine, ce mardi soir 23 novembre, aux Mureaux (Yvelines), à caresser ce rêve. Entre un débat anti-Medef et un forum sur l’" illusion sécuritaire", la vingtaine d’associations, partis et syndicats de gauche et d’extrême gauche réunis dans le Forum social local ont mis ce soir-là au programme "l’avenir de la Palestine".
La réunion se tient au pied d’une tour HLM, mais on chercherait en vain les "jeunes de cité" dans une assistance largement militante plus quinquagénaire qu’adolescente.
Majed Bamya, secrétaire général de l’Union générale des étudiants palestiniens (GUPS en anglais) et Gaï Elkhanan, militant de deux associations israéliennes de "refuzniks" - ces appelés qui refusent de servir dans les territoires occupés -, n’en sont pas à leur premier duo.
Depuis quelques mois déjà, ils interviennent ensemble dans des réunions publiques. Ils vont, répétant de concert que le conflit du Proche-Orient n’est pas religieux, qu’il ne se réduit pas non plus à un affrontement entre Juifs et Arabes, et qu’il faut appliquer le droit international. En dialoguant, en répondant ensemble aux questions, ils mettent surtout en lumière une face de la réalité inédite pour le public propalestinien qui vient les écouter. "Si nous pouvons nous parler, c’est que tout le monde peut le faire, résume Gaï. D’ailleurs, si on ne se parle pas, tout le monde meurt."
Dans certaines réunions, ils ont fait face à un public que leur présence conjointe insupportait. Mais ce soir, l’heure n’est pas aux invectives ni aux mouvements d’humeur.
Magnétisée, la salle écoute le jeune Israélien, étudiant en théâtre, raconter combien l’image horrifiée de son père, au retour de la guerre du Liban, a marqué son enfance. Comment, à l’issue de ses trois années de service militaire, il a décidé de refuser d’effectuer toute nouvelle période pour Tsahal dans les "territoires". Pourquoi aussi, après la mort de sa sœur, tuée dans un attentat-suicide à Jérusalem, ses parents et lui ont rejoint le Forum israélo-palestinien des familles endeuillées, "un groupe où chacun n’est qu’un être humain relié par le lien du deuil à ceux qu’on nous désigne comme des ennemis".
Majed, étudiant en droit international, lui, sait combien "il est difficile de parler de la paix sans se couper de la réalité palestinienne", où les gens ont tendance à penser que "ceux qui tiennent ce type de discours ne les représentent pas". Difficile aussi parce qu’il refuse de "tomber dans le parallélisme" tant le rapport de force est déséquilibré. Difficile encore parce que, vivant en France, il se sent "insulté comme musulman chaque jour" alors que "le lever de boucliers contre l’antisémitisme est beaucoup plus rapide".
Sur ce terrain, la salle démarre au quart de tour : "Nous qui sommes d’origine immigrée, on s’est aperçus qu’on ne pouvait pas critiquer la politique d’Israël sans avoir le monde entier et les médias contre soi, lance un quadragénaire en se référant à l’humoriste Dieudonné. Pensez-vous que nous puissions être critiques sans être traités d’antisémites ? Je voudrais avoir la réponse de quelqu’un d’origine juive pour en avoir le cœur neuf (sic)."
Nicole Schnitzer-Toulouse, qui représente à la tribune l’Union juive française pour la paix attrape la balle au bond : " C’est une des forces de la propagande israélienne d’assimiler toute critique à de l’antisémitisme", admet-elle en appelant à " ne pas amalgamer l’ensemble de la population juive à l’Etat d’Israël." "Mais ceux qui -comme Dieudonné- appuient leur critique en affirmant que les juifs ont été des esclavagistes sont à côté de la plaque", ajoute-t-elle en demandant de "faire extrêmement attention aux dérapages".
"Pour pouvoir répondre, il faut être irréprochables, renchérit Majed, l’étudiant palestinien. Or, à chaque manif, il y a des dérapages. Nous devons être aussi intraitables envers les responsables de ces dérapages qu’envers ceux qui kidnappent la parole des juifs."
Un autre spectateur se demande "pourquoi il faut être aussi fin pour tout ce qui tourne autour d’Israël et pas vis-à-vis de l’islam".
La réponse vient de Bernard Ravenel, président de l’Association France-Palestine Solidarité (AFPS). Il rappelle que, "dans l’histoire, l’antisémitisme, c’est le racisme européen", qu’"il ne faut pas laisser le combat contre l’antisémitisme à la communauté juive" mais "être clair d’emblée contre toutes les formes de racisme".
Le dirigeant associatif, qui a rendu un hommage très appuyé au sens politique de Yasser Arafat, appelle l’assistance à "imposer la paix par une campagne internationale" car "on ne peut pas imaginer un monde calme dans lequel on aurait fait plier les Palestiniens". Il voit dans le mur de séparation en cours de construction "la métaphore de ce que prépare le système dominant : la séparation entre l’Occident et l’Orient, entre le Nord et le Sud".
De plus en plus d’élus français, soutient-il, comprennent que la paix au Proche-Orient, c’est aussi un enjeu national en termes de paix sociale. Gaï, le refuznik israélien, approuve : "Quand on parle de ce petit conflit-là, on parle du monde entier !"
Habib, 27 ans, urbaniste, et Madani, 30 ans, informaticien, applaudissent : "Dommage qu’on ne voie jamais des gars comme lui à la télé, remarquent-ils. Parler avec lui, ça rend plus optimiste. On se dit que tous les Israéliens ne sont pas aussi criminels que ça. Mais jusqu’à ce soir, pour nous, ces gens-là n’existaient pas."